Archives mensuelles : février 2012

Maurice Allais, ce qu’il a dit en 1998!

Je vous livre ci-après un texte que j’ai retrouvé dans mes papiers et qui mérite d’être relu. Les faits actuels démontrent la clairvoyance de cette pensée.

Article paru dans le « Figaro » du 14 décembre 1998 page 2
Les totalitaires parmi nous
La route de la Servitude
Par MAURICE ALLAIS
Prix Nobel d’économie

« Principe essentiel de la démocratie : le consentement des gouvernés est la première condition de tout gouvernement, à la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages que leurs sujets.

Le 4 décembre 1997, le président de la République et le premier ministre ont saisi conjointement le Conseil constitutionnel de l’examen de la conformité à la Constitution française du traité signé le 2 octobre 1997 à Amsterdam, traité qui remplace celui de Maastricht. Le 31 décembre 1997, le Conseil constitutionnel a décidé que, pour pouvoir être ratifié, le traité d’Amsterdam devait être précédé d’une révision de la Constitution quant aux mesures relatives aux visas, à l’asile, à l’immigration, à la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union européenne et au franchissement des frontières extérieures des États membres.

Il s’agit en l’espèce de dispositions tout à fait essentielles au regard de la souveraineté nationale, tout particulièrement en ce qui concerne l’immigration. Au terme d’une période transitoire, la République française ne serait plus libre d’accorder ou de refuser l’entrée sur son territoire.

La révision de la Constitution

Suivant l’article 3 de la Constitution :  » La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par référendum « . De ce texte, il résulte, sans aucune ambiguïté possible, que les représentants élus du peuple ont la mission et le droit d’exercer la souveraineté nationale, mais non le droit de l’aliéner en tout ou en partie. Ce droit ne peut être dévolu qu’au peuple lui-même par la voie du référendum, C’est d’ailleurs en application de ce principe que la ratification du traité de Maastricht a été soumise au référendum le 20 septembre 1992.

Suivant l’article 89 de la Constitution :  » Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux Assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum, Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés « .

De ce texte et de l’article 3 de la Constitution, il résulte que la souveraineté nationale appartient au peuple, et que, lorsqu’il s’agit d’aliéner une partie de cette souveraineté, seule la procédure de référendum peut s’appliquer. Comme le peuple a adopté la Constitution par référendum, c’est à lui, et à lui seul, d’en décider la modification lorsqu’il s’agit de renoncer à la souveraineté sur une question aussi essentielle que le droit de légiférer en matière d’immigration.

De faux prétextes

Certes, le président de la République peut soumettre un projet de révision au Congrès, mais cette procédure ne peut être admise que lorsqu’il s’agit de l’exercice de la souveraineté nationale. Elle ne peut l’être lorsqu’il s’agit d’aliéner cette souveraineté sur une question aussi essentielle que celle de l’immigration. Dans ce cas, la soumission de la révision au Congrès serait totalement illégitime. En privant le peuple souverain d’un droit inaliénable, elle constituerait une violation flagrante et intolérable de la Constitution.

En fait, l’article 5 de la Constitution spécifie que le président de la République  » est le garant de l’indépendance nationale  » et qu’il veille au respect de la Constitution Quoi que certains puissent en dire, ‘Il est dès lors inconcevable que le président, dûment informé, puisse faillir fondamentalement à sa mission en ne soumettant pas à la procédure du référendum la révision de la Constitution impliquée par la ratification du traité d’Amsterdam, et en ne respectant pas par là même la Constitution.

Comme, de toute évidence, certains prétendent donner une interprétation différente à la Constitution, à l’encontre de ses dispositions impératives, le président se doit de saisir le Conseil constitutionnel sur la question fondamentale de la procédure à suivre au regard des articles 3, 5 et 89 de la Constitution.

Une grande partie du monde politique, dans la majorité et dans l’opposition, soutient que le traité d’Amsterdam est un texte purement technique, qui ne contient rien d’essentiel, et que dès lors la révision de la Constitution doit être soumise au Congrès.

En réalité, ce n’est là qu’un faux prétexte. Le motif réel de ceux qui préconisent la procédure du Congrès, c’est que la révision de la Constitution qu’implique la ratification du traité d’Amsterdam pourrait être rejetée par le peuple français dès lors qu’il serait dûment éclairé sur ses implications effectives.
Non seulement le traité d’Amsterdam dessaisirait, en effet, le peuple français de son droit souverain de décider en matière d’immigration, mais sa ratification impliquerait également la poursuite de la politique aveugle de libre-échangisme mondialiste de l’organisation de Bruxelles, qui entraîne un chômage massif, et qui, si elle se poursuit, ne peut que mener finalement à la destruction de la société française (1).

Le peuple français a été fondamentalement trompé lors de la ratification du traité de Maastricht. En fait, sa ratification avec 1 % de majorité n’a aucune signification. On n’abandonne pas des pans entiers de la souveraineté nationale avec 1 % de majorité 1 Il est certain que, s’il était consulté aujourd’hui, le peuple français ne se laisserait pas déposséder à nouveau de son droit souverain et inaliénable de décider lui-même de son propre destin.

En tout cas, le rejet du traité d’Amsterdam n’impliquerait en aucune façon l’arrêt de la construction européenne. Il ne ferait que lui faire prendre un nouveau cours. Ce rejet conduirait, en effet, à un réexamen approfondi très utile, et à vrai dire indispensable, de la situation actuelle, et à une révision profonde des principes de la construction européenne, en établissant des institutions démocratiques, en en précisant les délimitations géographiques, et en respectant effectivement les intérêts fondamentaux des États membres (2).

Une démarche totalitaire

En fait, ceux qui aujourd’hui, dans la majorité et dans l’opposition, refusent la procédure du référendum considèrent que le peuple français n’est pas suffisamment lucide, qu’il méconnaît totalement les conditions réelles de son avenir, et que, dans son propre intérêt, il vaut mieux que le Parlement décide pour lui,

C’est là oublier, comme le rappelait en 1944 Ludwig von Mises, analyste indiscuté de la philosophie politique, qu’« à la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d’un esprit plus élevé que leurs sujets » ; et, comme il le soulignait encore, « une minorité ne peut gouverner qu’avec le consentement des gouvernés ; la rébellion des opprimés la renversera tôt ou tard, même si elle réussit à se maintenir un temps (3) »,

En fait, aucun raisonnement a priori, aucune expérience historique, n’a disqualifié le principe fondamental de la démocratie selon lequel le consentement des gouvernés est la première condition de tout gouvernement.
On ne saurait trop le répéter, l’article 3 de la Constitution spécifie que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui J’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Ce texte délègue l’exercice de la souveraineté à ses représentants, mais ne leur donne nullement le droit de l’abandonner en tout ou en partie.

Les députés et les sénateurs, de la majorité et de l’opposition, qui poursuivent actuellement l’examen de la révision de la Constitution, portent une responsabilité historique, une responsabilité personnelle, dont ils resteront en tout cas responsables, tôt ou tard, devant le peuple français, Le non-respect de la souveraineté nationale serait pour le moins d’une exceptionnelle gravité.

Ils doivent encore considérer que, suivant l’article 27 de la Constitution,  » tout mandat impératif est nul  » et que leur vote est  » personnel  » Au regard de l’article 3 de la Constitution, ils doivent donc délibérer et voter indépendamment de toute consigne impérative, explicite ou implicite, qui peut leur être donnée par les dirigeants de leurs partis. D’ailleurs, on ne saurait trop rappeler à ces dirigeants que, suivant l’article 4 de la Constitution,  » Les partis et les groupements politiques doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie « . Au regard de l’article 3 de la Constitution, ils ne sauraient donc préconiser la procédure du Congrès, qui ne respecte pas la Constitution sur un point fondamental.

Aujourd’hui, nous sommes encore un pays libre, et la soumission des parlementaires français à une procédure de caractère totalitaire qui refuse de consulter le peuple français serait inadmissible.

L’attachement à la démocratie ne saurait se réduire à des incantations verbales. Il doit se traduire par des actes. Le peuple français, et lui seul, doit décider de son avenir. Nul n’a le droit de l’engager aveuglément sur une route qui risque de le mener à la servitude.

M. A.

(1) Voir mes ouvrages Erreurs et impasses de la construction européenne (1992) et Combats pour l’Europe (1994). Voir également mes ouvrages à paraître en 1998 : La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions monétaires et financières, et L’Union européenne, la mondialisation et le chômage, Éditions Clément Juglar. 62, avenue de Suffren, 75015 Paris. Tél. 01 45 68 58 06

(2) Voir mon article du Figaro du 12 novembre 1998,  » Pour une charte confédérale « .

(3) Le Gouvernement omnipotent (1944). »

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